Imaginez un ivrogne accroché à un réverbère qui se décide à rentrer chez lui. L’effet de l’alcool est tel qu’il ne peut faire que des pas de côté, soit sur la droite, soit sur la gauche. On suppose que chaque pas a une longueur d’un mètre et qu’il y a une probabilité de 50% que le pas soit vers la gauche et de 50% pour qu’il soit vers la droite. Au bout d’un nombre donné d’étapes, quelle est la distance qui sépare l’ivrogne de son point de départ?

Ce problème est connu sous le nom de marche aléatoire ou marche au hasard. Il est relié à la découverte des atomes via le mouvement brownien et trouve des applications dans des domaines aussi divers que la diffusion de la chaleur, le cours de la bourse ou encore le fonctionnement des moteurs de recherche.

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Dans le problème de l’ivrogne, on pourrait penser que puisque les chances sont les mêmes d’aller à droite ou à gauche, le point final de la marche devrait se trouver à proximité du point de départ. Il devrait en effet y avoir à peu près autant de pas vers la gauche que vers la droite ce qui ramènerait toujours l’ivrogne vers son réverbère.

Toutefois il n’est en rien : plus on attend, plus l’ivrogne s’éloigne bel et bien de son point de départ. On pourra observer des phases momentanées de rapprochement vers le point initial mais globalement l’ivrogne est de plus en plus loin du réverbère. La raison de cet éloignement est purement statistique. Voyons comment mettre ceci en évidence en étudiant des exemples de trajectoires.

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On mesure la position de l’ivrogne en mètres et en indexant positivement les points situés à droite du réverbère et négativement ceux situés à gauche. Supposons que l’ivrogne fasse trois pas. En notant D un pas vers la droite et G un pas vers la gauche, les trajectoires possibles sont les suivantes : trois pas vers la droite (DDD) ce qui donne une abscisse de +3 mètres pour le point d’arrivée; deux pas à droite puis un à gauche (DDG) : abscisse finale +1; droite-gauche-droite (DGD) : abscisse finale +1 également; DGG : abscisse finale : -1; GDD : +1; GDG : -1 ; GGD : -1 et GGG : -3.

En notant a l’abscisse finale, il y a donc une chance sur huit pour a=3, une chance sur huit également pour a=-3, trois chances sur huit pour a=1 et trois chances sur huit pour a=-1. On peut représenter ce résultat avec l’histogramme suivant :

Marche au hasard
Probabilités associées aux abscisses finales pour N= 3 étapes.

Pour N=4 étapes, on obtient les possibilités suivantes:

(DDDD) : a=4

(DDDG,DDGD,DGDD,GDDD) : a=2

(DDGG,DGDG,DGGD,GDGD,GDDG,GGDD) : a=0

(DGGG,GDGG,GGDG,GGGD) : a=-2

et (GGGG) : a=-4.

La représentation graphique devient alors:

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Probabilités pour N=4 étapes.

On peut reproduire le même raisonnement et tracer des histogrammes pour un nombre quelconque de pas : ci-dessous l’histogramme pour une marche aléatoire de six pas.

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Probabilités pour N=6 étapes.

On constate que plus le nombre de pas N est grand, plus l’histogramme a tendance à s’étaler : les probabilités associées à des positions proches du point de départ s’abaissent tandis que la possibilité de terminer loin du point de départ devient de plus en plus accessible.

On remarque que les ordonnées de ces histogrammes sont les suivantes :

  • pour N=3 : (1/8, 3/8, 3/8, 1/8),
  • pour N=4 : (1/16, 4/16, 6/16, 4/16, 1/16)
  • pour N=5 : (1/32, 5/32, 10/32, 10/32, 5/32, 1/32)
  • pour N=6 : (1/64, 6/64, 15/64, 20/64, 15/64, 6/64, 1/64)

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Le dénominateur correspond au nombre total de trajectoires possibles réalisées avec N pas soit 2^N. Et le numérateur correspond au nombre de possibilités de combiner les étapes droite et gauche qui permettent d’obtenir le bon point d’arrivée.

Par exemple, si N=6, il y a 2^6=64 trajectoires possibles. Pour arriver à l’abscisse +6 au bout de 6 pas, la trajectoire contient forcément six pas vers la droite et aucun vers la gauche : la seule trajectoire possible est donc (DDDDDD). D’où la probabilité 1/64.

Pour arriver à l’abscisse 4 au bout de 6 pas, la trajectoire contient forcément cinq pas vers la droite et un pas vers la gauche. Ceci peut s’effectuer de 6 manières différentes : DDDDDG, DDDDGD, DDDGDD, DDGDDD, DGDDDD et GDDDDD. Il faut en effet choisir la position de G parmi six emplacements. D’où la probabilité 6/64.

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Pour arriver à l’abscisse 2 au bout de 6 pas, la trajectoire doit cette fois-ci contenir quatre pas vers la droite et deux vers la gauche. Il faut choisir la position de deux lettres G parmi six emplacements. On obtient donc « deux parmi six » combinaisons différentes. Or « deux parmi six » se note en mathématiques C^2_6 et vaut 15. D’où la probabilité 15/64.

Nous sommes désormais capables de calculer la probabilité que l’ivrogne se situe à l’abscisse a au bout de N pas. On constate alors deux choses. La première est que l’abscisse moyenne reste égale à zéro. Par exemple pour quatre pas, les points d’arrivée sont -4, -2, 0, 2 et 4 avec les probabilités réparties de manière symétrique (1/16, 4/16, 6/16, 4/16, 1/16). L’abscisse moyenne donne bien zéro : l’ivrogne n’a pas plus de chances de partir à droite qu’à gauche.

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La seconde est très intéressante : la distance moyenne entre le point de départ et le point d’arrivée augmente avec le nombre de pas. Elle vaut:

  • 1 pour N=1 et N=2;
  • 1,5 pour N=3 et N=4;
  • 1.875 pour N=5 et N=6;

Ce déplacement de la distance moyenne au point de départ est appelé diffusion. Il est purement statistique et permet, en généralisant, de décrire des phénomènes comme la trajectoire de molécules d’encre dans de l’eau, la répartition de la chaleur à partir d’un point chaud, le déplacement d’un gaz dans une pièce, la migration de défauts au sein d’un cristal…

Tous ces phénomènes se rencontrent dans des domaines différents de la physique et concernent des objets qui n’ont, a priori, aucuns points communs. L’aspect aléatoire de leurs comportements amènent néanmoins à la possibilité de les décrire avec un formalisme mathématique unique.

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On trouvera un traitement plus complet de ce problème dans l’ouvrage Thermodynamique écrit par M. Bertin, J.P. Faroux et J. Renault et dont le plan est le suivant :

  1. Quelques notions indispensables.
  2. Introduction à la thermodynamique.
  3. Propriétés thermoélastiques des gaz parfaits.
  4. Théorie cinétique des gaz parfaits.
  5. Diffusion. Conduction de la chaleur. Théorie moléculaire pour les gaz.
  6. Aspect microscopique de l’équilibre thermique, facteur de Boltzmann.
  7. L’énergie interne et le premier principe de la thermodynamique.
  8. Propriétés énergétiques des gaz parfaits.
  9. L’entropie et le second principe de la thermodynamique.
  10. Machines thermiques. Notion d’énergie utilisable.
  11. Potentiels thermodynamiques.
  12. Gaz réels.
  13. Changement de phase des corps purs.
  14. Systèmes binaires.
  15. Thermochimie.
  16. Équilibres chimiques.

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